Sur la perversion dans les théories sur l'autonomie des mineurs dits « incasables »
Roberto Toledo  1@  
1 : EHESS
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), École des Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS]

Notre enquête sur les enfants et adolescents dits « incasables » en France, qui a démarré en 2008, comporte un volet terrain et un volet socio-historique (1801-2012). Durant la controverse sur le « troubles des conduites » (INSERM, 2005) de l'ère sarkozyste, j'ai assisté à trois formations (2008, 2009, 20011) sur les troubles du comportement à l'Institut national pour la pédagogie adaptatée et pour le handicap scolaire. En restituant l'héritage des modèles abordés dans ces formations, nous avons pu identifier une certaine continuité depuis les premières théories sur « la manie sans délire » (Pinel, 1801), sur les « instables », et sur les « débiles moraux » dits « inclassables » (Courjon, 1908), jusqu'aux théories actuelles sur l'« hyperactivité », sur le « trouble des conduites », sur les « pathologies limites », et sur la « personnalité à expression psychopathique » (HAS, 2006) : Un ensemble d'interventions médicales, psychologiques, pédagogiques et rééducatives promettent à rendre autonome une population qui est pourtant définie par les mêmes théories, tout au longue de leur histoire, en termes de leur résistance à toute intervention et à toute tentative de devenir autonome dans leur esprit et dans leur comportement.

Cette population de « patates chaudes », selon l'expression courante qui circule au sein de tout un réseau (Éducation – Santé – Travail Social – Justice), s'inscrit dans la politique actuelle du handicap psychique et de l'inclusion. Pourtant, ces cas dits « graves » au bout extrême d'un spectre de troubles du comportement, selon les théories, semblent n'avoir pas leur place dans le discours actuel de l'autonomie, de l'émancipation, et de l'autodétermination.

En effet, les théories diverses qui constituent l'histoire de la clinique de tels troubles convergent sur une conception qui implique l'incapacité de devenir une personne autonome. Il s'agirait d'une déficience de l'autonomie par définition (Ravon, 2015). Simultanément, la longue histoire de ces théories portant sur une série d'échecs dans la prise en charge de cette population, qualifiée de résistante à toute socialisation (Barrerye et Fiacre, 2009), inclut un corpus de discours du côté des professionnels qui promettent de donner à ces mineurs un accès à l'autonomie, via l'intégration des limites nécessaires pour se construire en tant que « sujet », ainsi qu'un accès à la culture et au respect de l'autorité légitime des lois de la République.

L'absent de cette histoire, c'est précisément toutes les ressources associatives qui existent pour les autres populations de personnes « en situation de handicap » ayant acquis un certain poids politique et d'influence sur la législation. Les enfants et les adolescents dits « incasables », dont ceux internés dans un Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) qui ne se déclarent pourtant « ni fou ni gogol » (Dupont, 2016), manquent actuellement une organisation collective sous la forme de pratiques d'« accompagnement par les pairs » (Gardien, 2017) et d'une puissance associative. Ils manquent donc cette ressource d'autodétermination en tant que population pour influencer les choix concernant leur compensation, leur autodésignation, leur orientation, et leurs droits à une vie autonome.

Les familles de ces mineurs dits « incasables », selon les mêmes théories, sont également qualifiés en termes qui mettent en avant un ensemble de défaillances vis-à-vis de leurs capacités éducatives nécessaires pour construire une famille autonome. Ces familles associées aux zones urbaines dites sensibles difficiles ne possèdent non plus une puissance associative pour défendre au niveau de la politique du handicap les intérêts de leurs enfants à troubles du comportement. Comment inscrire donc le handicap des mineurs dits « incasables » dans les politiques et les mouvements associatifs actuels qui animent le domaine ?


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