Sanctions, menaces et ruses : recourir à des formes de contrainte pour « travailler l'autonomie ». Enquête dans les unités psychiatriques médico-légales en Belgique
Sophie De Spiegeleir  1@  
1 : Université Saint-Louis Bruxelles

En Belgique, l'internement est une mesure de sûreté à durée indéterminée, qui prive ou restreint la liberté des personnes ayant commis une infraction pénale et déclarées irresponsables de leurs actes en raison d'un trouble mental présent au moment de la décision judiciaire. Régie par la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement, entrée en vigueur au 1er octobre 2016, cette mesure vise un double objectif : d'une part, protéger la société d'individus présentant un potentiel de dangerosité et, d'autre part, leur dispenser les soins nécessaires afin de préparer leur réinsertion sociale (Cartuyvels, 2018). Si pendant longtemps, le sort des personnes internées se réduisait à une mise à l'écart au sein d'institutions asilaires et/ou carcérales dont il était quasiment impossible de sortir, le régime légal en vigueur prévoit aujourd'hui d'articuler la mesure autour d'un « trajet de soins » (TSI) afin de dynamiser le parcours d'internement et d'encourager davantage la réinsertion. Au cours de ce TSI, si les personnes internées passent encore de longues années au sein de structures carcérales et/ou hautement sécurisées (l'annexe psychiatrique d'une prison, un établissement de défense sociale, etc.), elles peuvent également être prises en charge, au moment de leur libération à l'essai – stade probatoire et obligatoire de la mesure –, au sein d'unités psychiatriques médico-légales (UPML).

 Mises sur pied à partir des années 2000, les UPML font partie d'hôpitaux psychiatriques généraux. Elles accueillent une vingtaine de personnes internées en libération à l'essai pour un séjour, qui dure, en moyenne, une année et demie. Le passage par ces unités vise à « travailler l'autonomie » des personnes internées en vue de leur réinsertion sociale (Marquis, 2019). Pour ce faire, les équipes professionnelles inscrivent leur travail dans différents registres d'action, qui relèvent généralement du « laissez faire » et du « faire pour » (Velpry, 2008 : 157-158), et qui mobilisent des modes d'intervention plus ou moins contraignants (par exemple, « menacer » le patient d'une possible sanction s'il refuse de prendre sa médication). Toutefois, le recours à des formes graduelles de contrainte met à mal le mandat que s'est donné l'équipe (« être dans le soin »). Comment, dès lors, concilier protection et autonomie, et, qui plus est, dans un contexte où la « défense » de la société du risque d'un nouveau passage à l'acte est au cœur de l'intervention ? Dans le cadre d'une recherche doctorale et sur la base d'une enquête ethnographique menée pendant dix mois au sein de deux UPML en Belgique francophone, je propose d'examiner la place de la contrainte en psychiatrie légale. Il s'agit de mettre en lumière les différentes façons d'intervenir auprès des personnes internées, ainsi que les implications directes pour l'exercice de leurs droits.

 

 Bibliographie indicative :

- Cartuyvels, Y. (2018). L'internement en Belgique : une « troisième voie » qui en cherche une autre.... Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 176(4), 395-403.

- Champy, F. (2012). La sociologie des professions. Presses universitaires de France.

- Marquis, N. (2019). Making people autonomous: A sociological analysis of the uses of contracts and projects in the psychiatric care institutions. Culture, Medicine and Psychiatry, 1-29.

- Velpry, L. (2008). Le quotidien de la psychiatrie: sociologie de la maladie mentale. Armand Colin.

- Velpry, L., Vidal-Naquet, P. A. et Eyraud, B. (Eds.). (2018). Contrainte et consentement en santé mentale: forcer, influencer, coopérer. Presses universitaires de Rennes.


Personnes connectées : 1 Vie privée
Chargement...