La formation des interprètes au service de l'émancipation des sourds
Lou Rochard  1@  
1 : Structures Formelles du Langage
Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis : UMR7023, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

Dans les années 1960 aux Etats-Unis et 1970 en France, la communauté sourde signante engage un mouvement d'émancipation (Kerbourc'h 2006). Intrinsèquement lié, le métier d'interprète Français / Langue des Signes Française (LSF) ne se professionnalise qu'en 1980 (Quipourt et Gache, 2003). Jusqu'alors, l'interprétation était bénévole, assurée par des proches des sourds. Désormais, les interprètes sont des professionnels diplômés, soumis à un code déontologique. Il existe aujourd'hui 5 formations à l'interprétation F/LSF, dont les étudiants semblent de plus en plus éloignés des sourds. L'activité interprétative évolue, avec l'apparition récente de la co-interprétation, qui permet la participation d'interprètes sourds aux productions linguistiques, là où elles étaient un monopole d'entendants (Hanquet et Le Maire 2021). Enfin, la Fédération Nationale des Sourds de France (FNSF) (2023), appuyée par l'Association Française des Interprètes et traducteurs en Langue des Signes (AFILS) et les 5 universités diplômantes, publie récemment une lettre ouverte s'inquiétant du faible niveau des diplômés et des conséquences sur le service proposé aux sourds.

Nous avons questionné les conséquences d'un contact avec la LSF limité au cadre de la formation sur l'interprétation de la LSF dans sa diversité, et notamment sur celle du registre informel (Rochard, 2022). Nous avons réalisé et annoté sous ELAN un corpus constitué d'échanges en LSF captés in situ, puis nous avons proposés à dix signeurs de profils variés d'en faire une traduction et de participer à un entretien. Il a été montré qu'un lien inhérent avec la communauté sourde est un facteur-clé d'aisance accrue dans la traduction de ce registre informel, et que les difficultés des plus distants de la communauté ne relèvent pas tant de leurs compétences linguistiques que de leur acculturation à un mode de pensée spécifique. Pour les enquêtés intervenant dans la formation des interprètes, la rupture entre les interprètes entendants et la communauté sourde expliquerait l'émergence de la co-interprétation, comme un indice potentiel de la méfiance des sourds face à l'interprétation entendante.

Nous discuterons ainsi de l'intérêt de cette étude pour la réflexion sur l'importance du lien entre sourds et interprètes et sur l'influence de leur formation pour la protection et le respect de la LSF dans toute sa diversité linguistique et, par là même, pour une authentique émancipation des sourds.

FNSF (2023, 25 janvier). Communiqué du 25 janvier 2023. Lettre ouverte au gouvernement et au CNCPH. Développement du métier d'interprète Français / Langue des signes française (LSF).

Kerbourc'h, S. (2006). Le Réveil Sourd d'hier à aujourd'hui (1971 – 2006) : de l'action collective d'un mouvement culturel pour la réhabilitation de la Langue-des-Signes-Française, à l'affirmation d'une identité collective pour la participation sociale des sourds. Thèse de doctorat en sociologie sous la direction de Michel Wieviorka : Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris.

Hanquet, N., Le Maire, D. (2021). « Co-interprétation sourd et entendant, l'union fait la force ». Traduire, 245(1).

Quipourt, C., Gache, P. (2003). « Interpréter en langue des signes : Un acte militant ? », Langue française, 137(1), pp. 105-113.

Rochard, L. (2022). La « langue des signes pur jus » : facteurs facilitants face au registre informel en LSF pour les interprètes LSF – français. Mémoire de master 2 de sciences du langage sous la direction de Brigitte Garcia : Université Paris 8, Saint-Denis.


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