Si la surdité est un rapport (Mottez, 2006) et non une qualification individuelle, la question de l'identité sourde renvoie aux rapports à soi, aux autres et au monde (Bedoin, 2018). Ces rapports peuvent évoluer dans le temps, dans l'espace et selon les situations considérées. Notre communication propose un questionnement socio-historique autour de l'émancipation à travers le sport : peut-on affirmer « notre union, c'est notre force » dans le cas de la communauté Sourde sportive d'hier et d'aujourd'hui ? En effet, l'identité sourde est à la croisée d'une recherche de normalité et d'une revendication de spécificité (Benvenuto et Séguillon, 2013). Ce positionnement s'exprime par le fait que les Sourds sportifs ne souhaitent souvent aucune adaptation lors de leurs pratiques ou à la marge, hier comme aujourd'hui. Ils appliquent les règlements propres à l'ensemble des sportifs pour montrer leur normalité et leur volonté de dé-stigmatisation (Goffman, 1963). Parallèlement, ils souhaitent parfois aussi se différencier vis-à-vis de la majorité entendante-parlante, lorsqu'ils se sentent exclus, en s'organisant en sociétés sportives propres dès la fin du XIXe siècle et en Fédération dès le début du XXe siècle. Or, ce mouvement sportif silencieux tend à disparaître à l'entrée du XXIe siècle, puisque la Fédération sportive des Sourds de France est fondue depuis 2008 au sein de la Fédération française handisport (Séguillon, 2022). Ainsi les politiques publiques sportives ont-elles un effet sur l'autonomie et l'émancipation des Sourds par le sport.

Nous présenterons les résultats exploratoires d'une enquête en cours intitulée « Nous les sourds sportifs ». Les données ont été recueillies par questionnaires en ligne auprès de personnes sourdes aux profils variés, pour partie en français écrit et pour partie en Langue des signes française (LSF) sous format vidéo. Cette recherche se veut participative en associant différents acteurs de terrain (organisations représentatives, associations, instituts spécialisés, etc.). L'analyse des premiers résultats fait ressortir une identité à la fois spécifique et plurielle, traduisant des préoccupations différentes en fonction du type de surdité, de la date de sa survenue, de son étiologie mais aussi du positionnement éthique, philosophique, sociologique et politique propre à chaque Sourd. Aussi, peut-on commencer à percevoir qu'être Sourd sportif revêt différentes dimensions, plus ou moins prégnantes : c'est d'abord appartenir à un mouvement sportif original et à un groupe communautaire, mais aussi avoir une sociabilité particulière, une langue et une culture en partage, des codes et des valeurs propres. C'est également se reconnaître en tant que Sourd, défendre un projet politique, exprimer une volonté d'inclusion, combattre l'image d'infirme ou d'handicapé. Enfin, être Sourd sportif, c'est être membre d'un groupe, d'un collectif, d'un réseau de solidarité local, national et international, d'une union qui est à l'origine d'une force, celle de la communauté Sourde.

Bedoin, D. (2018). Sociologie du monde des sourds. Collection Repères. Paris, La découverte.

Benvenuto A., Séguillon D. (dir.) (2013). Dossier « Surdités, langues, cultures, identités : recherches et pratiques », La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, n°64.

Goffman E. (1963). Stigmate. Les usages sociaux du handicap. Paris, Les Editions de Minuit.

Mottez B. (2006). Les Sourds existent-ils ? Textes réunis et présentés par Andrea Benvenuto, Paris, Éditions L'Harmattan.

Séguillon D. (2022). Quelle place pour le sport « de l'entre-soi » dans le contexte d'une société inclusive ? Un exemple d'exclusion autour des pratiques sportives des Sourds. Dans Altérité (s) et société inclusive coordonné par Isabelle Queval. Collection Recherches. Suresnes, Éditions INSHEA.