Entre protection et subordination. Les aliénés sous tutelle en France au XIXe siècle
Anatole Le Bras  1, 2@  
1 : Centre d'histoire de Sciences Po (Sciences Po)
Sciences Po
2 : Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe
université de Strasbourg, Centre National de la Recherche Scientifique

Cette communication vise à éclairer une facette encore mal connue du traitement des personnes atteintes d'aliénation mentale dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle : leur mise sous tutelle judiciaire. Celle-ci pouvait prendre deux formes : l'interdiction judiciaire prévue par le Code civil en cas de « démence », « fureur » ou « imbécillité », ou l'internement à l'asile d'aliénés selon la loi de 1838, lequel s'accompagnait de mesures tutélaires (telles qu'un système d'administration provisoire des biens).

Mon propos se fonde sur l'étude de la littérature médicale, juridique et administrative consacrée à la question de la tutelle des aliénés, ainsi que sur l'exploitation de fonds de la justice civile et de plusieurs séries de dossiers d'internement à l'asile. Cet ensemble de sources permet d'apprécier aussi bien les débats théoriques sur la question de la protection des aliénés que les modalités concrètes de sa mise en œuvre.

Ma communication vise tout d'abord à comparer les modalités des deux formes de mise sous tutelle (interdiction et internement), leur articulation et leur évolution dans le temps entre 1838 et 1914. Il s'agit ensuite de comprendre comment la mise sous tutelle s'insère dans les stratégies familiales de gestion de l'aliénation mentale. En observant la manière dont différents acteurs s'en emparent, je mettrai en lumière les tensions entre les différents objectifs des dispositifs tutélaires : protection de l'aliéné, protection de la société, préservation des biens de la famille, défense des intérêts de l'administration asilaire. Je me pencherai enfin sur les conséquences de la mise sous tutelle sur les parcours et expériences des aliénés, en prêtant notamment attention à leurs réactions et résistances face à la privation de leurs droits civils. En définitive, je montrerai que la mise sous tutelle des aliénés telle qu'elle est mise en œuvre au XIXe siècle, sous prétexte de traduire dans l'ordre juridique un état « naturel », participe en réalité à produire des incapacités lourdes de conséquences sur les trajectoires biographiques.

 

Bibliographie indicative :

- Nicolas Henckes, « Entre tutelle et assistance : le débat sur la réforme de la loi de 1838 sur les aliénés des années 1870 aux années 1910 », Sciences sociales et santé, vol. 35, n° 2, 2017, p. 81-108.

- Anatole Le Bras, « “L'infortune la plus grave qui puisse frapper un citoyen”. Une histoire sociale des aliénés (France, seconde moitié du XIXe siècle) », Thèse d'histoire, Sciences Po, 2021.

- James E. Moran, Madness on Trial. A Transatlantic History of English Civil Law and Lunacy, Manchester : Manchester University Press, « Social Histories of Medicine », 2019.

- Thierry Nootens, Fous, prodigues et ivrognes. Familles et déviance à Montréal au XIXe siècle, Montréal : McGill-Queen's University Press, 2007.


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