Un regard interdisciplinaire pour comprendre l'écrit des sourds et penser son enseignement.
Laurence Beaujard  1@  
1 : Structures Formelles du Langage
Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis

La maîtrise de la langue écrite est un enjeu essentiel pour l'accès des sourds à une pleine citoyenneté. En France, une majorité d'enfants sourds apprennent à lire et à écrire avec des méthodes utilisées pour les enfants normo-entendants : la maîtrise des correspondances grapho-phonologiques -donc la connaissance de la langue vocale- est la condition sine qua non à l'acquisition de bonnes compétences en lecture et en écriture. Il ne semble pas, cependant, que ces méthodes, partant d'une vision déficitaire du sourd et de ses productions écrites, soient efficaces pour que les enfants sourds deviennent de bons lecteurs scripteurs. Dans des classes bilingues langue des signes française (LSF) - français écrit, une minorité d'enfants sourds signants bénéficient cependant d'un enseignement différent de l'écrit, entièrement en LSF, qui repose sur l'expérience développée depuis une quarantaine d'années par les enseignants de ces classes, car il n'existe pas de méthode spécifique. Afin notamment d'asseoir la légitimité de ces structures bilingues fragilisées aujourd'hui, il est urgent de proposer une didactique de l'écrit non pas basée sur des outils construits pour les enfants entendants, mais respectueuse d'un développement et d'une façon de penser différents.

Nous discuterons de la nécessité de déplacer le regard porté sur les sourds et sur leurs écrits. Plutôt que de parler d'écrits déficients, de retard d'acquisition, ne peut-on pas plutôt évoquer des productions originales, qui seraient liées à une autre façon d'apprendre et de voir le monde ? Garcia et Perini (2010 : 93) proposent à ce sujet le terme de « norme sourde, mode spécifique de traitement de l'information ancré dans une pensée et une sémiologie visuelles ». Pour notre recherche, que nous pouvons qualifier d' « ethnolinguistique », nous nous sommes posé les questions suivantes : le développement litéracique des jeunes enfants sourds signants est-il spécifique ? Privilégient-ils des stratégies visuelles lorsqu'ils entrent dans l'écrit ? Partant de l'hypothèse que les difficultés des sourds à l'écrit sont moins le fait d'une déficience auditive que d'un faisceau de facteurs à la fois linguistiques, sociolinguistiques, cognitifs, éducatifs et socio-culturels (Perini, 2013), nous avons pensé une méthodologie qualitative originale empruntant aux domaines linguistique, didactique et aux méthodes ethnographiques, qui nous permette d'analyser des écrits de jeunes enfants sourds en lien avec le contexte familial et pédagogique dans lequel se développent leurs compétences litéraciques. Nous proposons ainsi une étude de cas multiples analysant à la fois des « écritures inventées » de jeunes enfants sourds et des entretiens avec familles et enseignants, brossant des portraits litéraciques qui mettent en évidence un développement pour partie similaire à celui des enfants entendants et pour partie spécifique à ces enfants sourds locuteurs de la LSF.

GARCIA, B. et PERINI, M. (2010), « Normes en jeu et jeu des normes dans les deux langues en présence chez les sourds locuteurs de la Langue des Signes Française (LSF) ». In GARCIA, B., DERYCKE, M. (coord.), Sourds et langue des signes. Norme et variations, Langage et Société, n° 131, 75-94.

PERINI, M. (2013). Que peuvent nous apprendre les productions écrites des sourds ? Analyse de lectes écrits de personnes sourdes pour une contribution à la didactique du français écrit en formation d'adultes. Thèse de doctorat en sciences du langage, Université Paris 8.


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