A partir de différentes recherches sur la place des personnes dans le soin et l'accompagnement en santé mentale (contrainte en psychiatrie, Programme Un chez soi d'abord, parcours de soin en santé somatique des personnes avec des troubles psychiques), cette communication propose de revenir sur les tensions de l'intervention auprès d'autrui lorsque la capacité à décider pour soi est mise en cause. Depuis plus de 20 ans la référence aux « droits » et à l'autonomie ne cesse de se renforcer (jusque dans les régulations de la contrainte) dans tous les domaines d'intervention auprès d'autrui : santé, dépendance, précarité, handicap... Pour autant, il apparaît que derrière la récurrence de ces références (autonomie, droits, citoyenneté), et au travers de nouvelles notions et approches qui connaissent différentes modes (empowerment, rétablissement en santé mentale (cf Linder, 2022)), des modalités d'intervention très hétérogènes peuvent persister, où le statut de la personne dont on prend soin peut varier et notamment la reconnaissance de sa légitimité s'exprimer pour elle-même, à définir ses préférences et ses choix.

Si l'on semble se situer à chaque fois dans une « anthropologie conjonctive » (Genard et Cantelli, 2008), où vulnérabilité et autonomie s'articulent sans s'exclure mutuellement, cette communication montrera à partir de situations étudiées que la mobilisation de la notion d'autonomie, loin de toujours permettre la reconnaissance de la capacité d'une personne d'être à soi-même sa propre norme jusque dans sa vulnérabilité, peut renvoyer à un horizon au regard duquel la personne serait en défaut, ce qui légitimerait des tiers à définir ses besoins et les manières d'y répondre (ce qui renvoie à la question de la place de la personne dans les différents moments du care cf Tronto, 2009). On analysera ainsi différentes formes de disqualification à l'œuvre qui cristallisent ce basculement d'une autonomie postulée (où la personne reste reconnue comme légitime à définir ce qui fait sens et est pertinent pour elle en dernière instance) à une autonomie horizon (qui serait toujours à atteindre, et dont les défauts sont surveillés et évalués). Si la référence aux troubles psychiques en tant qu'ils constitueraient une altérité radicale (« les schizophrènes », « la psychose ») peut constituer un exemple paradigmatique de cette forme de disqualification, opérant un mode d'interprétation des problèmes et de réponse à ceux-ci (face par ex. à une problématique d'hygiène à domicile), d'autres exemples peuvent se trouver dans le traitement des personnes identifiés comme « addicts » ou « SDF ». On s'interrogera sur la manière dont certaines approches (comme le rétablissement en santé mentale), peuvent faire levier pour préserver la reconnaissance de la personne jusque dans sa vulnérabilité, tout en étant susceptibles d'être réappropriées dans des logiques au moins partiellement disqualifiantes. Contre la tentation de subsumer l'ensemble de la référence contemporaine à l'autonomie comme potentiel à développer (Ehrenberg, 2010), cette distinction permettrait d'identifier une forme de reconnaissance d'autrui préservée ou menacée dans la relation d'aide.

Ehrenberg, Alain. La société du malaise. Paris: Odile Jacob, 2010.

Genard, Jean-Louis, et Fabrizio Cantelli. « Êtres capables et compétents : lecture anthropologique et pistes pragmatiques ». SociologieS, 27 avril 2008. http://sociologies.revues.org/1943.

Linder, Audrey. « De la contestation à la collaboration : tensions et luttes de pouvoir entre usagers et professionnels de la psychiatrie. Le cas du rétablissement en santé mentale ». Sociologie 13, no 1 (2022): 43‑61. https://www.cairn.info/revue-sociologie-2022-1-page-43.htm.

Tronto, Joan C. Un monde vulnérable: pour une politique du « care ». Paris: La Découverte, 2009.